Le Balbuzard est une espèce « philopatrique » et il est très peu probable qu’il revienne un jour s’installer tout seul en Suisse romande – même si dans la nature on ne peut jamais dire jamais. La philopatrie définit l’attachement d’un individu à rester ou à revenir à l’endroit où il est né pour se reproduire. Certaines espèces, dont le Balbuzard, ont une philopatrie très marquée, avec pour conséquence que leur capacité de dispersion est très faible. Pour cette raison, dès qu’une population de Balbuzards disparaît quelque part, on ne peut pas raisonnablement s’attendre à ce que des individus qui ne sont pas nés à cet endroit le recolonise spontanément, même s’il y existe encore un milieu convenable.
Les mâles (chez les Balbuzards, ce sont eux qui choisissent le territoire) sont particulièrement fidèles au secteur où ils ont pris leur premier envol, alors que les femelles peuvent à l’occasion s’installer à une certaine distance, pour autant qu’elles y soient attirées et retenues par un mâle déjà cantonné et très persuasif. Même si quelques exceptions à la règle sont connues, la vaste majorité des couples nicheurs reviennent traditionnellement nicher à proximité immédiate de l’endroit où ils sont nés.
La méthode utilisée pour la réintroduction est basée sur le fait que si des poussins sont « translocalisés »* à l’âge de cinq à six semaines (donc avant qu’ils ne s’imprègnent de leur véritable lieu de naissance), ils vont s’imprégner du lieu où ils ont été déplacés et où ils prendront leur premier envol. Cette technique a été utilisée avec succès aux Etats-Unis dès le début des années 1980 pour restaurer des populations qui avaient été décimées par le DDT, ainsi que dans quatre pays d’Europe depuis la fin des années 1990.
Il y aura sans doute toujours des gens considérant qu’il vaut mieux « laisser faire la nature » et attendre que les Balbuzards reviennent peut-être un jour se réinstaller tout seuls (ce qu’ils n’ont pourtant pas fait depuis un siècle en Suisse).
L’avis des experts internationaux qui ont visité la Suisse romande est qu’un « retour naturel » du Balbuzard y serait hautement improbable. Pour espérer revoir un jour chez nous une population nicheuse de l’espèce, ils y recommandent sa réintroduction, assortie de la construction de nids artificiels.
Une « alternative » qui consisterait à seulement construire des nids artificiels (déjà localement testée en Suisse) mais sans réintroduire l’espèce sera coûteuse – y compris en temps et énergie – tout en ayant très peu de chances d’aboutir. Elle serait aussi vite démotivante, nécessitant le suivi annuel et la réparation régulière de nombreux nids artificiels dont les chances d’occupation seraient infimes.
Vu la philopatrie très marquée du Balbuzard, il n’y a pratiquement aucune chance pour qu’il revienne nicher en Suisse romande sans y être réintroduit. C’est par la faute des êtres humaines que les Balbuzards ont disparu de nos contrées et c’est notre responsabilité de les rétablir en tant que nicheurs – par une méthode qui a déjà largement fait ses preuves ailleurs.
* La Translocalisation est le transfert de jeunes oiseaux prélevés dans des populations prospères et dont la fin de l’élevage est effectuée en volière, directement sur le site de lâcher.